éternel Japon

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-- L'Empire du soleil levant --

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Sommaire :


1/ La menace mongole

En 1213, les Mongols, avec à leur tête Gengis Khan, franchissent la muraille de Chine et envahissent la Chine. Après une âpre résistance, le territoire coréen cède à son tour devant l'invasion mongole. Les territoires mongols formeront le plus grand empire terrestre de l'histoire.

empire mongol
Empire mongol (cliquer sur l'image pour activer l'animation gif).
empire mongol extension
Empire mongol et son extension maximale.

L'unification d'une grande partie du continent asiatique favorisera le commerce et notamment la route de la soie. Le vénitien Marco Polo se rendra en Chine et entendra parler du « Ribenguo », le pays du soleil levant, que l'italien transcrira en « Cipango ».

À partir de 1260, les Mongols envisagent d'envahir le Japon. Ils adressent un ultimatum aux Japonais leur exhortant de devenir des vassaux de l'empire mongol, injonction repoussée par le régent Hōjō Tokimune. Les Mongols tenteront à deux reprises d'envahir le Japon, en 1274 et 1281, ces deux tentatives se soldant finalement par des échecs.

debarquement mongol japon
Débarquement mongol au Japon repoussé par les Japonais.

Le shogunat Kamakura contrôlé par le clan Hōjō sortira considérablement renforcé de cette double confrontation victorieuse.

mon kamakura
Mon du shogunat Kamakura
mon hojo
Mon du clan Hōjō

2/ La piraterie wakō

Les « Wakō » (Wō/倭 : japonais - kòu/寇 : bandits) désignent les pirates japonais razziant les côtes japonaises, coréennes et chinoises entre les 14ème et 16ème siècles. En réaction, les autorités étatiques construiront de nombreuses places fortes et enverront en guise de représailles des expéditions contre les repaires pirates, notamment sur l'île de Tsuhima. En 1419, La Corée enverra 227 navires et 17 000 soldats à l'assaut de l'île, détruisant 2 000 maisons et 124 navires.

wako incursions
Incursions des pirates Wakō

Au 16ème siècle, les pirates Wakō étaient constitués de 70% de Chinois et de 30% de Japonais. Les autorités chinoises lanceront également plusieurs campagnes contre l'île de Taiwan (Formose). Parfois utilisés par les daimyōs locaux, le processus d'unification du Japon avec Hideyoshi Toyotomi et sa « chasse aux sabres » ou « katanagari » (rendant plus difficile l'approvisionnement en armes) entamera le déclin de la piraterie wakō. L'arrivée des Portugais et des armes à feu européennes accélérera l'éradication de la piraterie.

wako bataille
Bataille navale entre pirates Wakō et Chinois.
sueyoshi
Navire marchand « sueyoshi » patenté d'un « sceau vermillon » (朱印船, « Shuinsen ») par le shogunat de Toyotomi Hideyoshi, pouvant ainsi commercer en Asie à partir de 1592.
Quelques centaines de ces navires hybrides de conception européenne et asiatique feront ainsi du commerce entre le Japon et l'étranger jusqu'à la fermeture des frontières japonaises en 1635.
suminokura
Navire marchand de la famille Suminokura avec les armes des Tokugawa.
commerce japonais
Commerce japonais au début du 17ème siècle (routes commerciales, quartiers et communautés japonaises).
arima harunobu
Arima Harunobu (1567-1612)
Ce daimyō convertit au catholicisme participera au commerce des navires marqués d'un « sceau vermillon » patenté par le shogunat. Arima Harunobu fut impliqué dans un incident à Macao en 1608 durant lequel 50 samouraïs japonais trouvèrent la mort (les Portugais les auraient tués à le demande des Chinois après que les Japonais eurent décapité des civils chinois). En représailles, le navire portugais « Nossa Senhora da Graça » fut attaqué par les Japonais dans la ville japonaise de Nagasaki (l'engagement dura 3 jours et la résistance portugaise fut farouche). Ces incidents furent une des raisons qui poussèrent le shogunat à évincer les commerçants portugais au profit des Espagnols puis des Hollandais, qui avaient eux-aussi accosté au Japon dernièrement.
mon arima
Mon du clan Arima

3/ Arrivée des Européens

C'est après avoir embarqués en 1542 sur une jonque chinoise, et dérivés en mer de Chine, que les Portugais découvrirent par hasard le pays du Soleil Levant en s'échouant sur l'île de Tanegashima, au sud de l'île de Kyūshū. Les Portugais apporteront aux Japonais des armes à feu comme les arquebuses ou les canons, bouleversant ainsi la pratique de la guerre sur l'archipel dans les décennies à venir. Les arquebuses porteront d'ailleurs désormais le nom de « tanegashima ».

tanegashima
Île de Tanegashima au sud de l'île de Kyūshū.
marchands portugais nagasaki
Marchands portugais à nagasaki.
Le type de représentation artistique des Européens par les Japonais s'appellera « Nanbanga » (南蛮画).

Outre les armes à feu et la poudre, toutefois déjà connus depuis les invasions mongoles et par les échanges avec les Chinois, les Portugais introduiront le savon et le tabac. Ils échangeront aussi de la soie grège chinoise et achèteront aux Japonais de l'argent provenant des mines d'Iwami. Des missionnaires espagnols et italiens ne tarderont pas à se rendre eux-aussi au Japon au cours de la seconde moitié du 16ème siècle. Les Japonais appelleront ces Européens les « Nanbanjin », c'est à dire les « barbares [venus des mers] du Sud ». Un peu plus tard, les Japonais surnommeront les Anglais - et surtout les Hollandais - les « Kōmōjin » (« les hommes à poils rouges »).

marchands portugais
Marchands portugais débarquant au Japon.
Le commerce avec les étrangers (南蛮貿易, « Nanban bōeki », « commerce avec les Barbares du sud ») ou période Nanban (南蛮貿易時代 « Nanban bōeki jidai », « période du commerce avec les Barbares du sud ») couvre la période de 1546 à 1614.
marchands europeens
Marchands européens portugais débarquant au Japon.
Les Portugais échangeront de préférence de la soie chinoise contre de l'argent métal japonais. Les Portugais se feront les intermédiaires entre Chinois et Japonais alors que les Chinois ont interdit tout commerce avec le Japon depuis les attaques des pirates japonais sur les côtes chinoises (Wako).
caraque portugaise morue plein la calle
Caraque portugaise
Les caraques portugaises étaient les plus gros vaisseaux marchands armés de l'époque, surpassant les galions espagnols. Les Japonais les appelleront « kurofune » (黒船, « vaisseaux noirs ») en référence à leurs coques goudronnées noires.
marchands portugais
Saint François Xavier au comptoir portugais de Gao avec des troupes portugaises se battant contre des pirates. Le missionnaire se rendra également au Japon.
routes commerciales portugaises
Routes commerciales portugaises en Asie au 16ème siècle.
Le commerce avec les Portugais contribuera à l'émergence de la ville japonaise de Nagasaki.
bernardo japonais
Statues du jésuite Saint François Xavier et du convertit Bernardo le japonais (le premier Japonais à avoir visité l'Europe en 1553) dans le parc « Xavier » de Kagoshima.
ambassade japonaise
Julião Nakaura, le père Mesquita, Mancio Itō, Martinho Hara et Miguel Chijiwa (de gauche à droite et de haut en bas).
L'« ambassade Tenshō » (天正使節) de 1582 est la première délégation japonaise envoyée à l'initiative des Jésuites en Europe par le daimyō chrétien Ōtomo Sōrin. Elle visitera également des comptoirs portugais en Asie avant de se rendre en Europe.
mon otomo
Mon du clan Ōtomo
ambassade japonaise
L'ambassade japonaise Tenshō est reçue par le pape Grégoire XIII à Rome le 23 mars 1585.
ambassade japonaise
Portrait de Mancio Itō (1569-1612). Ce samouraï chrétien intégrera la compagnie de Jésus à son retour d'Europe et sera ordonné prêtre en 1608.
cloche portugaise
Cloche fabriquée au Portugal de la première église du Japon de Nanban-ji (Nanbanji ou Nanbandera, 南蛮寺, « temple des Barbares du sud ») construite à Kyōto en 1576. L'église jésuite a été détruite par Toyotomi Hideyoshi au 17ème siècle mais la cloche a été préservée jusqu'à aujourd'hui dans le temple bouddhiste « Shunkō-in » de Kyōto.
hasekura tsunenaga
Hasekura Tsunenaga (1571–1622)
Ce samouraï japonais sera envoyé en Europe en 1613 (慶長使節, « ambassade Keichō ») par le daimyō Date Masamune (1567-1636), juste avant l'unification politique du Japon en 1615 par Tokugawa Ieyasu. Avec les deux précédentes incursions japonaises dans l'océan Pacifique en 1610 (le navire japonais « San Buena Ventura » - construit sur le modèle du navire hollandais « Liefde » - se rendra en Nouvelle-Espagne) et 1612 (tentative avortée du navire japonais « San Sebastian »), l'ambassade japonaise en Europe de Hasekura Tsunenaga sera la dernière avant la fermeture du pays et jusqu'à l'ère Meiji (fin du 19ème siècle.)
hasekura tsunenaga
Trajet de l'ambassade Keichō de Hasekura Tsunenaga vers l'Europe utilisant la route commerciale des Espagnols.
date masamune
Statue de Date Masamune dans le château de Sendai portant son célèbre casque en forme de croissant de lune.
Ce daimyō était un grand tacticien et se ralliera à Tokugawa Ieyasu après la mort de Toyotomi Hideyoshi. Il servira loyalement les deux shōguns mais ces derniers se méfieront toujours de ce puissant seigneur et limiteront son domaine afin de ne pas en faire un rival trop dangereux. Réputé sur les champs de bataille, il encouragera aussi le développement des arts et n'hésitera pas à inviter des étrangers occidentaux dans son domaine pour bénéficier également de leurs avancées technologiques militaires. Il ne pourra cependant pas s'opposer à la persécution des Chrétiens sur son domaine quelques années plus tard à la demande du shōgun.
armure date masamune
La célèbre armure noire de Date Masamune avec le croissant de lune doré sur le casque.
Le clan Date sera à l'origine de la prospérité de la ville japonaise de Sendai.
mon date
Mon du clan Date
date maru
Navire japonais « Date Maru » (appelé « San Juan Bautista » par les Espagnols), un des premiers navires de haute mer construit par les Japonais à l'initiative de Date Masamune, s'inspirant des galions espagnols et de l'apport technique de l'anglais William Adams qui était membre d'équipage du navire hollandais « Liefde ».
Ces navires sont appelés au Japon « namban-sen » (南蛮船, « navire des barbare du sud »). Le navire a transporté des délégations japonaises (1613-1620) aux Philippines, au Mexique et en Europe (Espagne et Italie).
date maru
Lettre de la délégation japonaise remise à Philippe III d'Espagne le 30 janvier 1615.
Le samouraï sera reçu avec faste à Séville et dans le palais royal de l'Alcazar. Il sera convertit et baptisé à la religion catholique durant son premier séjour espagnol.
lettre pape date masamune
Lettre en latin (une autre lettre sera écrite en japonais) de Date Masamune (probablement écrite par le franciscain Luis Sotelo) portée par Hasekura Tsunenaga en novembre 1615 (après une escale de trois jours dans le port français de Saint-Tropez à cause du mauvais temps) à destination du Pape Paul V.

La délégation japonaise « Keichō » fera une brève escale à Saint-Tropez (Samuel le stagiaire du site s'est mangé une baffe pour avoir demandé si les Japonais étaient les premières stars du sow-biz à venir dans ce petit port de pêche paumé sur la côte d'Azur, faut pas déconner quand même !) en 1615 durant leur voyage entre l'Espagne et l'Italie (première fois que des Japonais et des Français se rencontreront) :

« Ne touchez jamais la nourriture avec leurs mains, mais utiliser deux tiges minces tenant avec trois doigts. »
« Ils soufflent leur nez dans les feuilles souples et soyeux de la taille d'une main, qu'ils ne jamais utiliser deux fois, puis se jettent sur le sol après utilisation, et ont été ravis de voir que les gens autour d'eux se sont précipités pour les ramasser. »
« Leurs épées coupées si bien qu'ils peuvent couper une mince feuille de papier appoggiandovelo sur le bord et en soufflant sur elle. »
("Relations de Mme de St Troppez" octobre 1615, Bibliothèque Inguimbertine, Carpentras).

hasekura tsunenaga priere
Titre nobiliaire et citoyenneté romaine accordés à Hasekura Tsunenaga.
Il sera reçu par le pape au Vatican le 3 novembre 1615 en audience publique. Le pape refusera cependant que l'Espagne établisse un accord commercial avec le Japon, craignant peut être que la route maritime soit par la suite découverte par les puissances protestantes d'Europe du Nord.
polo la savonette
Peinture de Hasekura Tsunenaga représentant le pape Paul V.
hasekura tsunenaga priere
Hasekura Tsunenaga en train de prier.
Le samouraï est devenu indésirable lors de son retour du Vatican, le Pape ne souhaitant pas voir se développer les relations entre le Japon et la Nouvelle-Espagne (actuel Mexique). Le Japonais trouvera refuge dans un couvent espagnol. Certains Japonais de l'a délégation s'établiront et fonderont des familles en Espagne. Hasekura reviendra au Japon en 1618 dans un Japon désormais hostile aux Chrétiens après la mort du shogun Tokugawa Ieyasu.
alessandro valignano
Le missionnaire jésuite italien Alessandro Valignano (1539-1606) qui déclarera à propos des Japonais : « ils ne devancent pas seulement tous les autres (peuples) Asiatiques, ils surpassent également largement les Européens (dans de nombreux domaines) ».

Soucieux d'éviter des conversions massives au catholicisme, les Japonais privilégieront désormais l'entretien de rapports restreints avec les seules puissances protestantes anglaise et hollandaise et fermeront les frontières aux autres pays à partir de 1638. L'île de Dejima, au large de Nagasaki, sera ainsi le seul accès commercial européen vers le Japon en 1641.

chretien japonais
Chrétiens japonais en costumes européens.
comptoir dejima 1805
Comptoir hollandais de Dejima en 1805.
comptoir dejima 1850
Comptoir de Dejima en 1850.

L'arrivée des Européens donnera naissance à la culture « nanban », c'est à dire une culture japonaise influencée par l'Europe (pain, vin, origan, horloges, orgue, viole, lunettes, tabac, médecine, astronomie, géographie, peinture à l'huile, eau forte, presse d'imprimerie, etc.).

armes feu
Arquebuses japonaises (« Tanegashima », 種子島) de l'époque Edo.
Les Japonais ont été surtout intéressés par le commerce des armes à feu européennes alors que le Japon était plongé en pleine guerre civile. Les artisans japonais s'empresseront de copier les arquebuses portugaises mais continueront à importer des armes portugaises ainsi que de la poudre noire nécessaire à leur utilisation. Les armes à feu (« Teppō », 鉄砲, « canon en fer ») étaient connues depuis longtemps par les Japonais depuis les invasions mongoles et les marchands chinois mais la fermeture de la Chine les ont empêchés de s'y approvisionner pendant le 15ème siècle.
cuirasse nanbando
Cuirasse japonaise « Nanbandō » (南蛮胴) influencée par les armures européennes.
cuirasse nanbando
Cuirasse japonaise « Nanbandō » (南蛮胴)
casque nanban
Casque japonais inspiré par les modèles européens.

Les Japonais se sont aussi intéressés à l'horlogerie mécanique européenne, introduites par les missionnaires jésuites puis par les marchands hollandais. Le pays du Soleil-levant développera bientôt ses propres horloges (和時計, « wadokei »).

horloge wadokei
Horloge japonaise avec mécanisme double indiquant deux heures différentes.
dessin wadokei
Dessin japonais décrivant le fonctionnement du mécanisme d'une horloge.
nanbanbijutsu
Les Européens vus par les Japonais.
L'arrivée des Européens influenceront le « nanbanbijutsu » (南蛮美術), conception que se feront les Japonais des Européens, mais également courant artistique influencé par ses derniers.
nanbanbijutsu
Ex-voto japonais laqué dans le style « nanban ».
nanban inro
« Inrō » (印籠) ou petite boite japonaise représentant des étrangers européens au 17ème siècle.
morue portugaise au chocolat
Gâteau au chocolat « tempura » (天ぷら ou 天麩羅).
Ce type de cuisson frit dans l'huile sera introduit par les Portugais dans la ville de Nagasaki.
nouilles oeufs
Nouilles aux oeufs « Keiran Somen ».
Introduites par les Portugais, elles sont très populaires dans la ville de Fukuoka. La cuisine japonaise influencée par les Européens sera connu sous le nom de « nanbangashi » (南蛮菓子).
konpeito
Bonbons « konpeitō » (金平糖, コンペイトー, du mot portugais « confeito »).
Les Portugais ont aussi introduit l'usage du sucre rafiné dans l'archipel nippon.

4/ Politique de fermeture du shogunat

L'arrivée des missionnaires européens - catholiques portugais et espagnols - entraîne la conversion de centaines de milliers de Japonais. On comptera en 1614 une dizaine d'églises dans la ville désormais la plus chrétienne de l'archipel : Nagasaki.

eglise martyrs nagasaki
Église des vingt-six martyrs à Nagasaki en 1885.
eglise kusuhara nagasaki
Église de Kusuhara à Nagasaki.

D'abord tolérant avec la nouvelle religion chrétienne durant les premières années, le shogunat Tokugawa souhaite préserver l'unité religieuse du pays dans un pays qui vient à peine d'achever son unité politique.

En 1637 a lieu une insurrection populaire à Shimabara et dans les îles Amakusa. Cette région fortement christianisée et tournée vers la mer a subi de plein fouet la politique de fermeture du pays. Après quelques succès comme la prise du château de Hara, les représailles seront sans pitié de la part du pouvoir en place.

siege chateau hara
Siège du château de Hara par le shogunat Tokugawa (avec les batteries de deux navires hollandais appelés en renfort).

Mais plus important encore que la question religieuse, le shogunat a comme objectif de priver les puissants daimyōs de l'ouest du Japon de leur lucratif commerce avec la Chine et l'est de l'Asie. Priver ces seigneurs de guerre de cette importante source financière les empêchera potentiellement de se constituer une importante armée pouvant être utilisée contre les Tokugawa. Les daimyōs « tozamas » de l'ouest - statut regroupant les seigneurs qui se sont ralliés à Tokugawa Ieyasu seulement après la bataille de Sekigahara - sont particulièrement concernés par la nouvelle politique de fermeture du pays.

Le shogunat Tokugawa va ainsi édicter une série de décrets isolationnistes plus connus sous le nom de « sakoku »(鎖国, « pays fermé »). Cette politique va restreindre le commerce des marchandises vers le Japon mais aussi le déplacement des personnes. Cette politique d' « interdiction de la mer » (« kaikin ») sera aussi désignée (sakoku) à partir du début du 19ème siècle sous le nom de « pays enchaîné »

martyrs chretiens
Martyrs chrétiens à Nagasaki au 17ème siècle.

Les seuls Européens autorisés à établir un comptoir dans l'archipel sont d'abord les Portugais sur l'île de Dejima, près de la ville de Nagasaki. Les Hollandais protestants supplanteront ensuite les Portugais catholiques - jugés trop prosélytes et craignant une conquête armée après l'évangélisation d'une partie de la population japonaise - à partir de 1639 en tant que partenaires européens exclusifs du shogunat pendant la période d'isolement du « sakoku ».

dejima hollandais
Enclave hollandaise de Dejima près de Nagasaki.

La ville de Nagasaki et l'emplacement de l'ancienne île de Dejima

Le commerce avec les autres peuples asiatiques était également soumis à des lieux définis. Ainsi, le commerce avec les Coréens avait lieu uniquement sur l'île de Tsushima, le commerce avec les Aïnous était confiné à Matsumae sur l'île d'Hokkaido, celui avec le royaume de Ryūkyū était réduit à Satsuma. Le Japon va également conserver une route commerciale avec la Chine dans le port de Nagasaki. Les avancées occidentales seront diffusées au compte goutte grâce à des comptes-rendus réguliers. Le bakufu (gouvernement shogunal) exigera également des Hollandais des rapports réguliers sur la situation internationale.

En 1635 est émis l'interdiction aux Japonais de se rendre à l'étranger. Les résidents japonais vivant à l'étranger n'ont quand à eux plus le droit de revenir au japon.

telescope
Famille japonaise utilisant un télescope durant la période Edo.

Vers la fin du 17ème siècle et au début du 18ème siècle apparaîtront des courants s'interrogeant sur l'identité japonaise et son rapport avec le reste du monde. Les deux courants les plus importants sont celui des « études nationales », ainsi que celui des « études hollandaises ».

Le shōgun Tokugawa Yoshimune (1716-1745) va reconsidérer les rapports avec les Hollandais en autorisant l'importation de livres à l'exception de ceux sur la foi chrétienne. Il va aussi encourager l'apprentissage du néerlandais chez de jeunes étudiants. C'est ainsi que naquit un courant intellectuel que les Japonais de l'époque désignent comme les « yōkaku » (études occidentales), ou « rangaku » (études hollandaises).

dejima hollandais
Études hollandaises ou « rangaku ».
Cette illustration d'un manuel de médecine japonais montre l'anatomiste hollandais Steven Blankaart (1650-1704) en train de pratiquer.

C'est ainsi que les médecins japonais s'initient dans les traductions d'un ouvrage néerlandais consacré à la dissection (1774) et d'un traité sur les maladies internes (1793). D'autres savants « hollandistes » s'intéressent aux sciences naturelles et à la pharmacopée.

Les « études nationales » sont initiées par Motoori Norinaga (1730-1801). Ce dernier ne supporte plus le caractère autoritaire du pouvoir shogunal d'Edo et éprouve à contrario de la sympathie pour la cour impériale de Kyōto. Il travaillera pendant des décennies sur l'histoire du Japon avant l'introduction de la culture chinoise. Hirata Atsutane (1776-1843) étudiera lui aussi le Japon ancien et souhaitera promouvoir la religion shintō et refonder le système autour de l'empereur du Japon.

5/ Les Incursions occidentales pendant l'isolement

Les Occidentaux ont tenté à de nombreuses reprises de forcer l'isolement dans lequel s'est confiné le Japon. Voici une liste de quelques tentatives.

brick australien cyprus
Peinture japonaise représentant le brick australien « Cyprus » en 1830
navire etats unis
Peinture japonaise du navire étasunien « Morrison » qui a forcé en 1837 l'interdiction imposée aux navires étrangers de naviguer près les côtes japonaises.
Les incursions occidentales (1647-1853)
Date Tentative d'incursion occidentale
1647 Des navires de guerre portugais tentent de rentrer dans le port de Nagasaki. 900 bateaux japonais les en empêchent.
1738 Une escadre russe se rend sur l'île d'Honshu, près de l'actuel parc national Rikuchu Kaigan.
1778 Un navire marchand russe accoste à Hokkaido. Sa demande de faire du commerce est rejetée malgré les cadeaux apportés.
1787 Jean-François de Galaup, comte de Lapérouse, visite les îles Ryūkyū et longe la côte nord de l'île d'Hokkaidō.
1791 Deux navires étasuniens, le « Lady Washington » et le « Grace », mouillent dans l'île de Kii Ōshima.
1792 Le russe Adam Laxman visite l'île d'Hokkaidō.
1797 De 1792 à 1809, de nombreux navires étasuniens tentent de commercer à Nagasaki sous pavillon hollandais, ces derniers ne pouvant y commercer à cause des guerres napoléoniennes et de la royal navy britannique contrôlant les océans. L'étasunien William Robert Stewart se rend à Nagasaki avec des marchandises hollandaises.
1803 William Robert Stewart retourne à Nagasaki pour tenter en vain de commercer dans l'enclave hollandaise de Dejima.
1804 Une expédition russe qui fait le tour du monde commandée par Adam Johann von Krusenstern fait escale à Nagasaki. Nikolai Rezanov demande l'ouverture du commerce entre les deux pays. Suite au refus du bakufu, les navires repartent durant l'automne 1805. Les Russes attaqueront par la suite les îles Sakhaline et les îles Kouriles. Le gouvernement shogunal construira des défenses à Ezo (ancien nom d'Hokkaidō).
1808 La frégate anglaise « HMS Phaeton » obtient par la force le droit de se ravitailler dans l'enclave hollandaise de Dejima. Stupéfaction des Japonais.
1811 Le lieutnant de vaisseau Vasily Golovnin mouille sur l'île de Kunashiri. Il est arrêté par le bakufu est est emprisonné durant deux ans.
1825 Le gouvernement shogunal, suite aux propositions de Takahashi Kageyasu (高橋景保), demande aux défenses côtières d'arrêter ou de tuer tous les étrangers qui tenteraient d'accoster au Japon.
1830 Le brick australien « Cyprus » qui s'est mutiné contre son équipage britannique, arrive à Mugi (préfecture de Tokushima) pour demander de l'approvisionnement, le navire est attaqué par les Japonais.
1830 L'étasunien Nathaniel Savory établit une colonie sur les îles Bonin, revendiquées par le Japon mais inhabitées.
1837 L'étasunien Charles W. King à bord du « Morrison » profite du sauvetage de trois marins japonais sur les côtes de l'Oregon pour tenter de commercer avec les autorités japonaises, sans succès toutefois.
1842 Suite à la défaite chinoise durant la guerre de l'opium et les critiques émises après l'incident avec le navire « Morrison », le bakufu suspend l'ordre d'éxecuter les étrangers et décrête « l'ordre de les approvisionner en bois et en eau » (« Shinsui kyuyorei »/薪水給与令).
1844 Une expédition française commandée par le capitaine Fornier-Duplan visite Okinawa. le commerce leur est refusé mais le père Forcade et un traducteur sont autorisés à rester au Japon.
1845 Le baleinier étasunien « Manhattan » avec à son bord 22 pécheurs japonais secourus est autorisé à mouiller dans la baie d'Edo. Après un échange de cadeaux, les autorités japonaises lui demande ensuite de partir et de ne plus jamais revenir au Japon.
1846 L'amiral français Cécille arrive à Nagasaki mais échoue dans ses tentatives de négociation et n'a pas l'autorisation de mettre pied à terre. Il était accompagné de deux prêtres ayant appris le japonais : le père Forcade et le père Ko.
1848 Le capitaine James Glynn parvient le premier à entamer des négociations avec le Japon. Il recommande au Congrès d'utiliser la force afin d'aboutir à un traité commercial.
1849 Le navire de la Royal Navy « HMS Mariner » entre dans le port d'Uraga et établit un relevé topographique. Le japonais Otokichi servira de traducteur en se faisant passer pour un chinois qui appris la langue japonaise grâe à une ancienne relation de son père ayant travaillé à Nagasaki.
1853 Le diplomate russe Yevfimy Putyatin arrive à Nagasaki avec un moteur à vapeur. Le japonais Hisashige Tanaka étudiera le moteur et deviendra le concepteur de la première locomotive à vapeur japonaise.
caricature guerre opium
Carte japonaise du monde datant de 1840.

6/ Les bateaux noirs du Commodore Perry

Après une guerre d'agression remportée contre le Mexique en 1846, les États-Unis ont vu leur territoire s'agrandir considérablement, et disposent désormais d'une façade terrestre sur l'Océan Pacifique. Les Américains sont intéressés par la pêche à la baleine mais surtout par le commerce avec les Chinois. Après que les Occidentaux aient remporté la première guerre de l'opium en 1844 - et que les Chinois aient concédé des traités commerciaux inégaux à leur détriment -, les navires étasuniens ont désormais un besoin impératif de se ravitailler dans les ports japonais avant de traverser le Pacifique.

caricature guerre opium
Caricature française du 19ème siècle évoquant la première guerre de l'opium.

L'amiral étasunien Matthew Perry aborde les côtes japonaises en juillet 1853 avec quatre navires de guerre et mouille à Uraga dans la baie d'Edo. Il est porteur d'une lettre du président étasunien adressé au shōgun, demandant l'ouverture de relations diplomatiques et commerciales entre les deux pays. Perry annonce qu'il reviendra pour connaître la réponse des autorités japonaises.

En février 1854, Matthew Perry est de retour, avec cette fois sept navires dont trois frégates à vapeur. Le bakufu cède et signe le 31 mars 1854 la Convention de Kanagawa, mettant ainsi un terme à 220 années d'isolement. Le Japon ouvre deux ports (Shimonada et Hakodate) aux navires américains souhaitant se ravitailler.

Le terme japonais « kurofune » (黒船) peut se traduire par « navires noirs ». Il évoque les quatre navires étasuniens arrivés en 1853 : le « Mississippi », le « Plymouth », le« Saratoga » , et le « Susquehanna ». La couleur noire étant symbolisée par la couleur des coques des navires mais aussi par la fumée noire s'échappant des tuyères des moteurs à charbon des bateaux américains. Le terme « kurofune » était toutefois déjà désigné pour représenter les navires portugais dont la coque était recouverte de goudron. Il servira par la suite à désigner tous les navires occidentaux.

japon etats unis perry expedition
Peinture japonaise décrivant les forces japonaises et étasunienne lors de la seconde expédition de Matthew Perry.
japon etats unis perry expedition
Défense côtière japonaise (avec les noms et mons des différents clans).
declaration matthew perry
Peinture japonaise évoquant la déclaration orale de Matthew Perry devant les autorités japonaises.

Conscients de la nette supériorité technologique militaire des Occidentaux, depuis la première guerre de l'opium notamment, et débattant depuis longtemps sur la meilleure façon d'appréhender la confrontation qui allait inévitablement arriver, la première expédition Perry a tout de même provoqué l'effroi et la stupeur chez les Japonais. Les Étasuniens faisant fi de toutes les demandes japonaises lui signifiant de se rendre au port de Nagasaki, Perry menacera même de faire feu sur la ville d'Edo si il n'est pas autorisé à se rendre à terre.

japon 1855
Carte des provinces japonaises en 11855

Un fameux « kyōka » (poème japonais) relate cet incident, profondément gravé dans l'imaginaire japonais :

泰平の / Taihei no / Tiré

眠りを覚ます / Nemuri o samasu / D’un sommeil paisible

上喜撰 / Jōkisen / Par le thé jōkisen

たった四杯で / Tatta shihai de / Quatre tasses suffisent

夜も眠れず / Yoru mo nemurezu / Empêchent de fermer l’œil de la nuit

La lecture des mots pivots permettent cependant d’entrevoir une traduction alternative. « Taihei » (太平) peut renvoyer à l’« Océan Pacifique », « jōkisen » (蒸気船) signifie aussi « bateau à vapeur » et « shihai » peut vouloir dire « quatre vaisseaux ».

commodore matthew perry
Esquisse japonaise décrivant les traits délicats du commodore étasunien Matthew Perry.

7/ Les traités inégaux

Les « traités inégaux » (nom donné par les Chinois à cette série de traités) sont des traités commerciaux signés par les pays asiatiques sous la contrainte de la force. Ils consistent pour les puissances occidentales en des avantages commerciaux, des concessions territoriales, et des ports ouverts au commerce.

Le Japon, lui-même assujetti à des traités inégaux par les Occidentaux, a pu lui aussi imposer plus tard des traités inégaux à la Chine et à la Corée, une fois son rattrapage technologique avec l'Occident entamé.

caricature partage chine
Caricature française du 19ème siècle évoquant le partage de la Chine par les puissances occidentales et japonaise.
Les traités inégaux avec la Chine
Traité Année Bénéficiaire(s)
Nom français Nom chinois
Traité de Nankin 南京條約 1842 Royaume-Uni
Traité de la Bogue 虎門條約 1843 Royaume-Uni
Traité de Wanghia 中美望廈條約 1844 États-Unis
Traité de Whampoa 黃埔條約 1844 France
Traité de Canton 中瑞廣州條約 1847 Royaumes-Unis de Suède et de Norvège
Traité de Kulia 中俄伊犁塔爾巴哈台通商章程 1851 Russie
Traité d'Aigun 璦琿條約 1858 Russie
Traité de Tientsin 天津條約 1858 France, Royaume-Uni, Russie, États-Unis
Convention de Pékin 北京條約 1860 France, Royaume-Uni, Russie
Convention Chefoo 煙台條約 1876 Royaume-Uni
Traité de Saint-Petersbourg 伊犁條約 1881 Russie
Traité de Tientsin 中法新約 1885 France
Traité sino-portugais de Pékin 中葡北京條約 1887 Portugal
Traité de Shimonoseki (traité de Maguan) 馬關條約 1895 Japon
Traité Li–Lobanov 中俄密约 1896 Russie
Convention de l'extension territoriale de Hong-Kong 展拓香港界址專條 1898 Royaume-Uni
Traité de Kwangchow Wan 廣州灣租界條約 1899 France
Protocole Boxer 辛丑條約 1901 France, Royaume-Uni, Russie, États-Unis, Japon, Allemagne, Italie, Autriche-Hongrie, belgique, Espagne, Pays-Bas
Accord Simla 西姆拉條約 1914 Royaume-Uni
Les Vingt-et-Unes demandes 二十一條 1915 Japon
Cessez le feu Tanggu 塘沽協定 1933 Japon
convention kanagawa japon
Ratification japonaise de la « Convention de Kanagawa ».
Les traités inégaux avec le Japon
Traité Année Bénéficiaire(s)
Nom français Nom japonais
Convention de Kanagawa 日米和親条約 1854 États-Unis
Traité d'amitié anglo-japonais 日英和親条約 1854 Royaume-Uni
Traités Ansei 安政条約 1858 États-Unis, Pays-Bas, Russie, Royaume-Uni, France
Traité d'amitié et du commerce 日米修好通商条約 1858 États-Unis
Traité d'amitié et du commerce anglo-japonais 日英修好通商条約 1858 Royaume-Uni
Traité d'amitié, du commerce et de la navigation prusso-japonais 日普修好通商条約 1861 Prusse
Traité d'amitié, du commerce et de la navigation entre l'Autriche et le Japon 日墺修好通商航海条約 1868 Autriche-Hongrie
Traité d'amitié, du commerce et de la navigation hispano-japonais 日西修好通商航海条約 1868 Espagne
convention kanagawa etats unis
Ratification étasunienne de la « Convention de Kanagawa ».
Les traités inégaux avec la Corée
Traité Année Bénéficiaire(s)
Nom français Nom coréen
Traité nippo-coréen de 1876 (traité de Ganhwa) 강화도 조약 (江華島條約) 1876 Japon
Traité americano-coréen de 1882 조미수호통상조약 (朝美修好通商條約) 1882 États-Unis
Traité nippo-coréen de 1882 (traité de Chemulo) 제물포 조약 (濟物浦條約) 1882 Japon
Traité sino-coréen de 1882 (Lois du commerce et des communications Joseon-Qing) 조청상민수륙무역장정 (朝淸商民水陸貿易章程) 1882 Empire des Qing
Traité germano-coréen de 1883 조독수호통상조약 (朝獨修好通商條約) 1883 Allemagne
Traité anglo-coréen de 1883 조영수호통상조약 (朝英修好通商條約) 1883 Royaume-Uni
Traité russo-coréen de 1884 조로수호통상조약 (朝露修好通商條約) 1884 Russie
Traité italo-coréen de 1884 조이수호통상조약 (朝伊修好通商條約) 1884 Italie
Traité nippo-coréen de 1885 (traité de Hanseong) 한성조약 (漢城條約) 1885 Japon
Traité franco-coréen de 1886 조불수호통상조약 (朝佛修好通商條約) 1886 France
Traité austro-coréen de 1892 조오수호통상조약 (朝奧修好通商條約) 1892 Autriche-Hongrie
Traité belgo-coréen de 1901 조벨수호통상조약 (朝白修好通商條約) 1901 Belgique
Traité danno-coréen de 1902 조덴수호통상조약 (朝丁修好通商條約) 1902 Danemark
Traité nippo-coréen de 1904 한일의정서 (韓日議定書) 1904 Japon
Protocole nippo-coréen d'aout 1904 제1차 한일협약 (第一次韓日協約) 1904 Japon
Protocole nippo-coréen d'avril 1905 1905 Japon
Protocole nippo-coréen d'aout 1905 1905 Japon
Traité nippo-coréen de 1905 제2차 한일협약 (第二次韓日協約) (을사조약 (乙巳條約)) 1905 Japon
Traité nippo-coréen de 1907 제3차 한일협약 (第三次韓日協約) (정미조약 (丁未條約)) 1907 Japon
Traité nippo-coréen de 1910 한일병합조약 (韓日倂合條約) 1910 Japon

8/ La fin du shogunat Tokugawa

Il faut rappeler que le Japon a été découvert tardivement par les Occidentaux étant donné qu'il se trouvait parmi les dernières parties du monde déclarées « terra incognita ». Les Européens ont dû faire le tour de l'Afrique, puis s'aventurer dans les océans Indien et Pacifique avant de découvrir l'archipel par hasard. Les Russes ont eux dû traverser l'immense continent asiatique septentrional avant de déboucher sur la côte Pacifique. Quand aux Étasuniens, ils se sont appropriés tout le Sud-Ouest de leur territoire actuel et donc leur façade Pacifique seulement au milieu du 19ème siècle. De plus, avant de découvrir fortuitement le Japon au nord de l'Océan Pacifique, les Occidentaux avaient comme objectif l'exploitation des formidables richesses que leur offraient déjà l'Asie, les Indes et la Chine en particulier.

comptoirs europeens chine
Comptoirs européens aux Indes
concessions occidentales tianjin
Concessions occidentales dans la ville côtière de Tianjin en Chine.
concessions occidentales tientsin
Concessions occidentales dans la ville côtière de Tientsin en Chine.

Les occidentaux qui préoccuperont le plus les Japonais pendant tout le 19ème siècle sont les Russes. Ces derniers ont achevé de conquérir la Sibérie et lorgnent désormais sur les îles Sakhaline et Kouriles. Le Japon mettra tout en oeuvre pour pacifier et coloniser l'île d'Hokkaidō et tenter de s'emparer avant la Russie des îles Sakhaline et Kouriles. Les Russes jettent aussi leur dévolu sur l'île de Tsuhima, qui leur permettrait de posséder une base mettant à l'abri l'escadre du Pacifique de la banquise hivernale. Cependant, l'incident avec le navire britannique « Phaeton » en 1808 rappelle douloureusement aux Japonais qu'ils sont confrontés avec des puissance qui leur sont technologiquement supérieures.

phaeton
Peinture japonaise représentant le HMS « Phaeton ».

La pression et la ronde des navires occidentaux ne fera que s'accentuer tout au long du 19ème siècle. Après les Portugais, les Hollandais, les Espagnols, les Français ou les Russes, ce sont donc bien les Anglo-saxons qui vont se montrer les plus agressifs et revendicatifs. La découverte par les Japonais envoyés en Chine que la « lingua franca » est la langue anglaise, la victoire anglaise lors de la première guerre de l'opium, et surtout les « bateaux noirs » de Perry ne feront que le confirmer.

carte 1853
Carte japonaise du monde datant de 1853.

Déjà affaibli par de très graves crises sociales dans les années 1830 auxquelles le régime shogunal est incapable de répondre efficacement, la politique isolationniste du bakufu est également de plus en plus contestée. Des voix s'élèvent au Japon pour affirmer qu'en l'état actuel des choses, le Japon n'aura aucune chance de gagner une éventuelle guerre contre une nation occidentale. Force est de constater qu'après la venue en 1853 de la première flotte américaine du commodore Perry au large du Japon et des premiers renoncements de souveraineté occasionnés par les traités inégaux, il ne faudra que quinze ans pour voir en 1868 le shogunat Tokugawa s'effondrer.

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La délégation étasunienne reçue par le shōgun en 1854.

Une fois mis devant le fait accompli par l'escadre étasunienne, le shōgun va prendre différentes mesures controversées qui s'apparenteront à autant de signes de faiblesse. Tout d'abord il informe la cour impériale de l'arrivée des navires étasuniens et demande aux daimyōs leur avis sur les mesures à prendre. La cour impériale fait savoir au shōgun qu'elle souhaite repousser les étrangers. La plupart des grands seigneurs sont du même avis.

Cependant, Le bakufu cède lors de deuxième incursion du commodore Perry dans les eaux japonaises et signe le 31 mars 1854 le traité d'amitié nippo-étasunien (Convention de Kanagawa). Le Japon ouvre deux ports (Shimonada et Hakodate) aux navires américains souhaitant se ravitailler. La « diplomatie de la canonnière » a force de loi et ce sont bientôt les Pays-Bas, la Russie, le Royaume-Uni et la France qui prennent le pas des États-Unis en signant des traités inégaux (traités Ansei) avec le Japon en 1858. Ces traités, beaucoup plus commerciaux qu'amicaux, contraignent notamment le Japon d'appliquer aux autres pays, les conditions accordées aux États-Unis en vertu de la « clause de la nation la plus favorisée ».

traites amitie commerce
Traités d'amitié et de commerce entre le Japon, les Pays-Bas, la Grande-Bretagne, la France et les États-Unis signés en 1858.
navires occidentaux yokohama
Navires marchands occidentaux dans le port de Yokohama en 1861.

Le commerce extérieur japonais est désormais fondé sur les concessions étrangères. L'ancien petit village de Yokohama devient en quelques années un centre important. Inauguré en 1859, le nouveau port concentre rapidement les deux tiers du commerce extérieur du pays et détrône le port de Nagasaki.

carte yokohama
Carte japonaise de Yokohama en 1870.

L'ouverture du marché japonais aux produits occidentaux suite à la signature des traités entraîne une importante période d'instabilité économique avec une hausse du chômage et une inflation importante. L'ancien système monétaire de l'archipel n'est plus en usage et le cours de l'or à la vente est imposé en défaveur des Japonais, entraînant d'importantes évasions du métal précieux vers l'étranger.

navires occidentaux yokohama
La monnaie Tokugawa en or était la pierre angulaire de l'ancien système monétaire japonais.

Malgré quelques tentatives pour réformer le pays (partage du pouvoir avec les grands daimyōs, promotion à des postes de responsabilité des gens talentueux, installation de canons sur les côtes, fin de l'interdiction aux seigneurs de construire des navires de fort tonnage, création d'une école de guerre avec des instructeurs néerlandais, création d'un institut de recherches sur les livres « barbares »), la soumission du bakufu à des intérêts étrangers provoque un tollé au sein de la population japonaise.

tokugawa yoshinobu
Le dernier shōgun : Tokugawa Yoshinobu (1866-1867).

Beaucoup se rallient au mot d'ordre « expulser les barbares » (« jōi chokumei »), mais d'autres, notamment les puissants fiefs tozama du Sud-Ouest de l'archipel, souhaitent faire « tomber le bakufu » (« tōbaku »), voire rétablir l'empereur au cœur d'un nouveau système étatique avec le slogan « vénérons l'empereur » (« sonnō »).

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Slogan politique « Sonnō jōi » (尊皇攘夷, « révérer l'empereur, expulser les barbares »). Un mouvement du même ordre avait d'abord été initié en Chine (Zunwang Rangyi).

Le gouvernement shogunal, aidé militairement par les Français, ne pourra pas résister à la coalition menée par les fiefs du Sud-Ouest (Chōshu et Satsuma notamment), soutenue quand à elle par les Britanniques. Le shogunat prend fin et la restauration impériale est proclamée le 3 janvier 1868. Les derniers combattants de l'armée shogunale, retranchés à Hakodate sur l'île d'Hokkaido et encadrés par des officiers français, résisteront jusqu'en mai 1869.

navires occidentaux yokohama
Officiers japonais et français de l'armée shogunale à la bataille d'Hakodate (décembre 1868 - juin 1869) (de haut en bas et de gauche à droite : Cazeneuve, Marlin, Fukushima Tokinosuke, Fortant, Hosoya Yasutaro, Jules Brunet, Matsudaira Tarō - vice-president de la République d'Ezo -, et Tajima Kintarō)..

9/ Soif de modernisation sous l'ère meiji

Avant même la fin des combats contre les derniers soldats de l'armée shogunale, le nouveau gouvernement impérial fait jurer devant les dieux en avril 1868 au jeune souverain Mutsuhito une charte de cinq articles définissant les nouvelles orientations du régime :

1/ Promouvoir largement des assemblées et décider des choses selon l'opinion publique ;

2/ Unir le peuple entier afin d'assurer la prospérité ;

3/ Que tous, depuis les fonctionnaires et les militaires jusqu'au peuple, puissent agir selon leur volonté et ne soient pas conduits à se désintéresser des choses publiques ;

4/ En finir avec les abus du passé et se fonder sur la voie juste de la nature ;

5/ Aller à la recherche de la connaissance de par le monde et établir ainsi avec force les fondements de l'empire.

charte cinq articles
Charte du serment des cinq articles de 1868.

Le jeune empereur du Japon, qui a pris après son accession au trône le 3 février 1867, comme c'est de coutume, le nom posthume de Meiji (明治) qui signifie « gouvernement éclairé » (« lumière/clarté » - 明, « mei » - et « gouvernement » - 治, « ji » -), va délaisser Kyōto (« ville-capitale ») et s'installer à Tōkyō (« capitale de l'Est »), le nouveau nom désormais de la ville d'Edo. L'empereur va désormais occuper ses quartiers dans l'ancienne résidence shogunale.

deplacement empereur kyoto tokyo
Déplacement de l'empereur de Kyōto à Tōkyō en 1868.
residence imperiale tokyo
Vue de la résidence impériale à Tōkyō.
carte tokyo
Carte de Tōkyō en 1880.
carte tokyo
Carte de Tōkyō en 1890.
musachi tombeau imperial
Entrée du tombeau impérial de Musachi dans la banlieue est de Tōkyō.

De profondes réformes vont être engagées à l'occasion de ce changement de régime. À l'inititiative des quatre fiefs du Sud-Ouest (Satsuma, Chōshū, Tosa et Hizen) les quatre daimyōs incitent tous les autres daimyōs à restituer leurs seigneuries en faveur de l'Empereur (« hanski no hōkan », « la restitution à l'empereur [par les daimyōs] de leurs domaines et de leurs gens »). En 1871, on fait décréter par l'empereur le « haihan chiken », « la suppression des fiefs et la création de départements » avec des préfets nommés par le gouvernement. Les anciens daimyōs deviendront ainsi les futurs gouverneurs provinciaux, sortes de préfets territoriaux, chargés d'administrer leurs anciens fiefs dans leurs nouvelles circonscriptions administratives. Ils recevront également un dixième des revenus estimés de leur anciens fiefs.

empereur meiji 1880
L'Empereur Meiji en 1880

Au Japon, une des premières initiatives du nouvel Empereur du Japon est de rencontrer des ambassadeurs étrangers en 1868. Le message envoyé aux Occidentaux est d'abord d'indiquer que l'Empereur constitue désormais l'autorité suprême du pays, mais également que l'ouverture du pays est la nouvelle politique du régime.

empereur ambassadeurs etrangers
L'empereur Meiji recevant des ambassadeurs étrangers en 1868.

L'un des principaux objectifs des réformateurs est de rattrapper le retard technologique sur l'occident afin de pouvoir renégocier les traités inégaux. Les dirigeants vont ainsi se lancer dans un programme d'alphabétisation en instituant un ministère de l’Éducation en 1871 et en créant un système scolaire unique en 1872. Les autorités envoient également des étudiants japonais à l'étranger, mais font aussi venir au Japon des professeurs, des ingénieurs et des techniciens afin de former les Japonais dans les domaines où les Occidentaux peuvent leur apprendre quelque chose.

ambassade japonaise
Membres de la première ambassade japonaise en visite en Europe en 1862 autour de Shibata Takenaka (assis).
ambassade japonaise france
Réception des ambassadeurs japonais par Napoléon III en 1862.
ambassade japonaise exposition londres
L'ambassade japonaise en visite à l'exposition universelle de Londres en 1862.
mission iwakura
L'ambassade japonaise en visite à l'exposition universelle de Paris en 1867.
mission iwakura
Quelques uns des dizaines de membres de la mission diplomatique Iwakura (1871-1873, 岩倉使節団, « Iwakura Shisetsudan ») qui se rendront aux États-Unis, en Grande Bretagne, en France et en Allemagne, avec comme objectif d'étudier les domaines éducatifs, militaires, industriels et politiques de ces pays.
mission iwakura etudiantes
Étudiantes japonaises de la mission Iwakura (de gauche à droite : Nagai Shigeko, Ueda Teiko, Yoshimasu Ryōko, Tsuda Ume et Yamakawa Sutematsu) de 1871.
mission iwakura thiers
La mission Iwakura reçue par le président français Adolphe Thiers en 1872.
Durant l'ère Meiji, le slogan « Enrichir le pays, renforcer l'armée » (富国強兵, « fukoku kyōhei ») remplacera progressivement le slogan « Sonnō jōi » (尊皇攘夷 / 尊王攘夷, « Révérer l'Empereur, expulser les barbares »)
ordre chrysantheme
L’« ordre suprême du Chrysanthème » (大勲位菊花章, « Daikun’i Kikkashō », littéralement « Grand Ordre de la Décoration du Chrysanthème »). Créée en 1876, il s'agit de la plus haute distinction du Japon (on distingue le chrysanthème impérial et ses 16 pétales surplombant le soleil levant).
ordre soleil levant
L’« ordre du Soleil levant » (旭日章, « Kyokujitsu shō »).
Ordre japonais créé en 1876, il s'agit de la plus haute distinction après l'ordre du Chrysanthème (on distingue la fleur de Paulownia - le nombre de fleurs sur la bélière dépendant de la classe de la décoration - surplombant le soleil levant). La moitié des décorés de cet ordre sont des Français.

Su le plan politique, la Constitution Meiji de 1889 (明治憲法, « Meiji Kenpō ») s'inspirera du modèle allemand avec un exécutif fort et un pouvoir parlementaire limité. L'empereur restera en principe le chef décisionnaire suprême, notamment en ce qui concerne la guerre, mais sera plus tard obligé d'entériner la politique décidée par les militaires. Les Japonais s'inspireront également du système judiciaire allemand.

constitution meiji
Promulgation de la Constitution Meiji en 1889.

Le parlement japonais (国会, « Kokkai ») sera ensuite réduit à un rôle honorifique avec la prise de pouvoir par les militaires. C'est le Premier ministre, choisi par les militaires, qui deviendra le véritable chef du gouvernement. Les Japonais rejetteront les modèles français et espagnols jugés trop démocratiques, et s'inspireront également du système parlementaire anglais de Westminster même si ils le jugeront tout de même accorder une trop grande place au parlement.

parlement japon 1927
Le nouveau parlement japonais en construction en 1927.
parlement japon
Le parlement japonais en cession.
(l'escroquerie anglaise de la démocratie représentative des partis arrive à son tour au Japon)
drapeau postes
Drapeau des postes japonaises (1872-1887).
pont azuma
Premier pont en fer « Azuma » sur la rivière Sumida à Tōkyō en 1887.
drapeau douanes
Drapeau des douanes japonaises (1892-aujourd'hui).
locomotive
Locomotive anglaise assurant la liaison ferroviaire entre les stations de Yokokawa et Karuizawa en 1895.
tokyo 1905
Tōkyō en 1905
tokyo 1907
L'exposition industrielle à Tōkyō en 1907.
tramway kobe
Tramway électrique dans la ville de Kobe en 1910.

L'industrialisation du pays est encouragée par le gouvernement japonais. En plus des lourds investissements entrepris par les autorités pour améliorer les infrastructures, les initiatives privées sont encouragées, et de grands conglomérats familiaux industriels et financiers - dont l'origine est parfois ancienne - voient bientôt le jour (財閥, « zaibatsu »), allant même jusqu'à influencer la politique étrangère du pays.

igeta sumitomo
Mon igeta du groupe Sumitomo (住友グループ) fondé en 1615 par l'ancien moine bouddhiste Masatomo Sumitomo (l'entreprise s'était d'abord spécialisée dans le cuivre).

Avant la Première Guerre mondiale, les 4 grands « zaibatsus » (四大財閥, « yondai zaibatsu » : Sumitomo, Yasuda, Mitsui et Mitsubishi) contrôlent 30% des industries minières, chimiques et métallurgiques, 50% du marché d'équipement, 70% de la bourse des échanges, ainsi qu'une grande partie de la flotte commerciale. De nouveaux groupes émergeront après la guerre russo-japonaise de 1904.

logo mitsbishi
Logo du keiretsu Mitsubishi (三菱グループ), héritier du zaibatsu Mitsubishi. Les « keiretsu » sont les groupes japonais qui ont succédé en 1945 aux « zaibatsus » d'avant-guerre.
mine hokkaido
Mine de charbon Mitsubishi d'Ōyūbari et son chemin de fer à Yūbari sur l'île d'Hokkaidō en 1912.

L'écrivain allemand Albrecht Fürst von Urach s'exprimera ainsi en 1942 à propos de l'essor inexorable du Japon : « L'ascension du Japon au cours des 80 dernières années à la puissance mondiale qu'elle est désormais est le plus grand miracle de l'histoire du monde. Les puissants empires de l'Antiquité, les principales institutions politiques du Moyen Âge et du début de l'ère moderne, l'Empire espagnol, l'Empire britannique, ont tous eu besoin de plusieurs siècles pour atteindre leur pleine puissance. La montée du Japon a été fulgurante. Après seulement 80 ans, c'est l'une des rares grandes puissances qui détermine le destin du monde ».

carte monde
Carte japonaise du monde datant du 19ème siècle.