Sommaire :
- 1/ Les trois unificateurs
- 2/ La bataille de Sekigahara (20 et 21 octobre 1600)
- 3/ Le shogunat Tokugawa (1600-1868)
- 4/ Une société très hierarchisée
- 5/ La famille au fondement du système
- 6/ Une période de stabilité et un âge d'or culturel
-
7/ Grandes routes et axes de communication
- a/ Le Gokishichidō
- b/ Le Gokaidō
- 8/ Spécialisation régionale et urbanisation
1/ Les trois unificateurs
Facilitée par les campagnes militaires précédentes de Oda Nobunaga (1534-1582) et Toyotomi Hideyoshi (1537-1598), c'est finalement Tokugawa Ieyasu (1543-1616) qui achève l'unification du pays et qui met fin à la période féodale (1185-1600). Tokugawa Ieyasu est donc considéré comme le dernier des « trois unificateurs du Japon » de l'époque Sengoku (戦国時代, « sengoku-jidai », littéralement « époque/ère des provinces en guerre », 1477/1573). L'époque Sengoku est comprise dans la période Muromachi (1336-1573).
2/ La bataille de Sekigahara (20 et 21 octobre 1600)
La confrontation entre les forces de Tokugawa Ieyasu et celles de Toyotomi Hideyori (1593-1616, fils et héritier de Toyotomi Hideyoshi) se déroula lors de la décisive bataille de Sekigahara (関ヶ原の戦い, « Sekigahara no Tatakai »), les 20 et 21 octobre 1600. Cette bataille fut d'une telle importance qu'elle est aujourd’hui surnommée « Tenka wakeme no kassen » (天下分け目の合戦, « la bataille qui décida de l'avenir du pays »).
La victoire bascula finalement dans le camps de Tokugawa Ieyasu, auquel il fallut encore trois ans pour pacifier définitivement le pays et instaurer une ère de prospérité de près de trois siècle : la période Edo (1600-1868).
3/ Le shogunat Tokugawa (1600-1868)
Dans un premier temps, suite à la bataille d'Okehazama en 1560, Tokugawa Ieyasu fût le vassal de Oda Nobunaga. Par la suite, Tokugawa Ieyasu prêta allegeance en 1586 à Toyotomi Hideyoshi. Après une campagne victorieuse contre le clan Hōjo qui se termine en 1590, Tokugawa Ieyasu accepta la proposition de Toyotomi Hideyoshi de s'emparer des riches provinces des Hōjo, en échange de cinq de ses provinces. Le territoire de Tokugawa Ieyasu bascula ainsi vers l'Est. Celui-ci déplace sa capitale à Edo, futur Tōkyō (dans la province de Musachi) et construit une puissante forteresse dans le cœur du Kantō, sur les côtes du Pacifique.
A la mort de Toyotomi Hideyoshi en 1598, Tokugawa Ieyasu affronte et soumet les cinq régents chargés de veiller sur les intérêts du successeur désigné de Toyotomi Hideyoshi : Toyotomi Hideyori. Après sa victoire à Sekigahara, Tokugawa Ieyasu est nommé « shōgun » (général) par l'Empereur du Japon en 1603, inaugurant ainsi son bakufu (gouvernement shogunal) dans sa nouvelle capitale.
A Edo, les guerriers représentent environ la moitié de la population. On estime à cette époque à 70% de la surface urbaine les quartiers occupés par les seigneurs et leurs guerriers.
4/ Une société très hierarchisée
Pendant les quinze années qui suivent la victoire de Sekigahara, le nouveau shōgun établit ou renouvelle le réseau relationnel avec ses vassaux et les daimyōs (seigneurs de guerre) ralliés ou vaincus. En fonction de leurs liens de parenté ou de la solidité de leurs liens de vassalité avec le shōgun, les territoires des clans vaincus sont réassignés dans tout l'archipel.
Le statut du vassal du shōgun dépend du nombre de « kokus » de riz attribué par le shōgun (le koku étant l'unité de mesure traditionnelle du Japon féodal). On distingue ainsi les « daimyōs » (au moins 10 000 koku), les « hatamotos » (la garde rapprochée du shōgun au combat, au moins 3 000 koku) et les « gokenins » (officiers de l'armée des Tokugawa).
Sur les 30 millions de kokus de riz mesurés par le système fiscal que produit l'archipel à la fin de la période Edo, le shōgun en détient personnellement 7, bien plus que le plus puissant des autres daimyōs. Au nombre de 270, les daimyō reproduisent à leur échelle les relations vassaliques qu'entretient le shōgun avec ses guerriers.
Une fois au pouvoir, la principale préoccupation du nouveau shōgun est de mettre fin à l'instabilité du Japon et du phénomène du « monde à l'envers » caractérisant le Japon féodal. Tokugawa Ieyasu décide de séparer distinctement les différentes classes sociales, obligeant ainsi les paysans à se définir uniquement comme des paysans, et non plus également comme des guerriers occasionnels, comme beaucoup l'étaient.
Trois groupes vont ainsi être établis :
_ les « bushi » ou « buke », les guerriers ;
_ les « hyakushō » ou roturiers des villages, paysans pour la plupart ;
_ les « chōnin » ou roturiers des villes, bourgeois pour la plupart.
Au début du 18ème siècle, les guerriers forment un groupe de 1.5 à 2 millions de personnes, représentant 6 à 7% de la population japonaise. Parmi les guerriers, on distingue les « samouraïs » (noblesse guerrière possédant des terres ou appartenant lui-même à un seigneur), les « kachi » (guerriers de rang inférieur), et les « chūgen » (serviteurs des samouraïs, participant aussi aux combats, il s'agit du rang guerrier le plus bas). Enfin, les « rônins » sont des samouraïs sans maître qui, licenciés par leur seigneur ou ayant choisi la liberté, n'ont ni fief ni revenu. Ils ne font plus partie de l'ordre des guerriers.
Les hyakushō ou roturiers des campagnes composent 70 à 80% de la population. L'essentiel de la production repose sur eux. La plupart sont agriculteurs. Leur statut est le plus élevé des classes populaires, car l'idéologie officielle agrarienne place le travail agricole au-dessus de tout autre. L'activité agricole constitue la base économique de la société japonaise de l'époque des Tokugawa.
Les chōnin constituent quand à eux la catégorie citadine roturière représentant entre 10 et 15% de l'ensemble de la population.
À ces trois groupes principaux s'ajoutent aussi les « eta » (les « souillés ») et les « hinin » (les « non-humains »), méprisés et discriminés mais ils ne sont pas les seuls. Mendiants et handicapés, lépreux, enfants vendus comme esclaves (la pratique était toutefois officiellement interdite), métiers marginaux et Aïnous dans le Nord du Tōhoku et dans le sud de l’île d'Ezo relèvent également de cet ensemble.
5/ La famille au fondement du système
La famille joue un rôle central dans la fabrication et la reproduction du système. Les enseignements confucéens constituent une sorte de sens moral commun qui assure la rigidité des statuts en même temps qu'il offre un code de conduite vertueuse. Ces enseignements prônent notamment les « Cinq Principes » (loyauté au supérieur hiérarchique, piété filiale, fidélité de l'épouse au mari, respect du cadet à l’aîné, confiance dans l'amitié) ainsi que les « Cinq Vertus cardinales » (bienveillance, devoir, respect des rites, sagesse et fidélité), toutes ces notions sont inculquées dès le plus jeune âge.
6/ Une période de stabilité et un âge d'or culturel
Une fois parvenu au pouvoir, Tokugawa Ieyasu prend le contrôle de l'économie du pays en mettant la main sur les mines et les ports importants, lui assurant ainsi le monopole des exportations des métaux précieux. Il va ainsi être capable de fonder un nouveau système monétaire. Il organise par ailleurs un réseau de routes stratégiques à travers le pays avec des auberges et des relais à chevaux pour les messagers et les voyageurs, ainsi que des postes de contrôle de police.
En 1635, le shōgun Tokugawa Iemitsu instaure le « sankin kōtai », qui oblige tous les daimyō à passer alternativement un an dans leur fief et un an à Edo, tandis que leur épouse et leurs enfants doivent habiter en permanence dans la capitale du shōgun. Les daimyōs sont ainsi astreints à être constamment sur les routes, voyageant sans cesse entre leurs fiefs et Edo. L'un des objectifs du shōgun, en plus de retenir la famille des daimyōs comme otages potentiels, est d'étrangler financièrement les grands seigneurs féodaux.
La politique de fermeture du pays mise en place par les shōguns Tokugawa au début du 17ème siècle, accompagnée de cette pacification de la société, loin de provoquer une stagnation de cette dernière, va au contraire provoquer un essor économique, redéployé vers l'intérieur du pays et non plus tourné vers les échanges extérieurs. La grande stabilité du régime et le développement de grandes routes ponctuées de relais-étapes pour les daimyō entraînent un accroissement des échanges et des villes, ainsi qu'un épanouissement de l'artisanat japonais en particulier. Au point qu'aujourd'hui, la période Edo est synonyme d'âge d'or de l'art japonais traditionnel. Après le « bushido », la voie du guerrier, vient le temps du « shodō », la voie du lettré.
7/ Grandes routes et axes de communication
a/ Le Gokishichidō
Le « Gokishichidō » (五畿七道, lit. « cinq provinces et sept routes ») est le nom d'une ancienne organisation administrative du Japon datant de la période Asuka (538-710). Cette organisation perdura jusqu'à la période Muromachi (1336-1573).
Le Gokishichidō consistait en une division en cinq provinces appelée « Kinai » (畿内) ayant une capitale, et en la création de sept axes de communications (道, « dō », circuit ou voie). À partir de 701 et du code de « Taihō » (ritsuryō), le pays fut divisé en 66 provinces et 592 districts.
Les cinq provinces du Kinai sont :
_ province de Yamato
_ province de Yamashiro
_ province de Kawachi
_ province de Settsu
_ province d'Izumi
Elles correspondent approximativement à l'actuelle région du Kansai (en orange sur la carte suivante).
Les sept « dō » reliaient la capitale impériale au reste du territoire. Ces routes étaient jalonnées d'étapes et donnaient leur nom aux régions correspondantes.
_ Tōkaidō partait en direction de l'est en suivant la côte de l'océan Pacifique ;
_ Tōsandō partait vers le nord-est à travers les alpes japonaises ;
_ Hokurikudō partait vers le nord-est en suivant la côte de la mer du Japon ;
_ San'indō partait vers l'ouest en suivant la côte de la mer du Japon ;
_ San'yōdō vers l'ouest ;
_ Nankaidō vers la péninsule de Kii et les îles d'Awaji et Shikoku ;
_ Saikaidō vers Kyūshū
Les routes du « Gokishichidō » ne doivent pas être confondues avec les routes du « Gokaidō », créées lors de la période Edo (1600-1868). Seul le circuit du Tōkaidō appartient à la fois au Gokishichidō et au Gokaidō.
b/ Le Gokaidō
Les cinq routes d'Edo ou « Gokaidō » (五街道) étaient les cinq routes administratives reliées à la capitale shogunale Edo (aujourd'hui Tōkyō) durant la période Edo (1603-1868).
Construites ou plutôt agrandies par Tokugawa Ieyasu qui souhaitait améliorer le contrôle de son territoire, c'est le quatrième shogun Tokugawa Ietsuna (1641–1680) qui leur donnera ce statut administratif.
Le Gokaidō sera constitué de relais-postes et s'appuiera sur le « Kaidō » (街道), réseau de routes existant déjà à l'époque du Japon médiéval.
Le « sankin-kōtai », obligeant les daimyōs à faire d'incessants aller-retour entre leur fief et la capitale shogunale, parsèmera également les cinq routes de nombreux relais-étapes pouvant accueillir la noblesse et leur suite. Les cinq routes ont toutes comme point zéro le pont « Nihonbashi » (日本橋, litt. « Le pont du Japon ») de la ville d'Edo.
Les cinq routes d'Edo furent les suivantes :
_ « Ōshū Kaidō » (奥州街道) : Edo vers la province de Kai et la ville de Shirakawa, 27 stations ;
_ « Nikkō Kaidō » (日光街道) : Edo vers la province de Mutsu et la ville de Nikkō, 21 stations ;
_ « Kōshū Kaidō » (甲州街道) : Edo vers la province de Kai et la ville de Shimosuwa-shuku, 44 stations ;
_ « Nakasendō » (中山道) ou « Kiso kaidō » (木曾街道) : Edo vers Kyōto, en passant par Shimosuwa-shuku, 69 stations ;
_ « Tōkaidō » (東海道) : Edo vers Kyōto, en longeant la côte, 53 stations.
La plus importante des routes du Gokaidō fut le Tōkaidō (東海道, littéralement « la route de la mer de l'est »), route longeant la côte et reliant Edo, la capitale shogunale, à Kyōto, la ville de résidence de l'Empereur du Japon.
Les Cinquante-trois Stations du « Tōkaidō » (東海道五十三次之内, « Tōkaidō Gojūsan-tsugi no uchi ») sont une série d'estampes japonaises (ukiyo-e) créées par Utagawa Hiroshige (歌川広重, 1797-1858) après son premier voyage empruntant la route du Tōkaidō en 1832.
Les Soixante-neuf Stations du « Kiso Kaidō » (木曾街道六十九次, « Kiso Kaidō Rokujūkyū-tsugi ») sont une série d'estampes japonaises ukiyo-e créées par Utagawa Hiroshige et Keisai Eisen entre 1834-1835 et 1842.
La série compte soixante-neuf stations du Kiso Kaidō, plus une planche pour le point de départ, le pont Nihonbashi (« pont du Japon », 1ère estampe) à Edo, ainsi qu'une estampe additionnelle pour la station Nakatsugawa-juku (N°46 : Nakatsugawa, 1ère estampe; N° 47 : Nakatsugawa, 2ème estampe) ; soit un total de 71 estampes, auxquelles il faut ajouter la page de titre (estampe; N° 72).
8/ Spécialisation régionale et urbanisation
Au cours du 18ème siècle, le Japon passe d'une économie d’auto-subsistance à une économie tournée vers la commercialisation des produits ; la laque, le chanvre pour le textile, l'indigo pour la teinturerie, le mûrier pour le ver à soie, le colza pour l'huile d'éclairage, donnent naissance à un début d'économie régionale spécialisée. La culture du coton se développe rapidement dans le Kansai et les régions bordant la mer intérieure, le thé prend son essor près de Kyōto (Uji), le tabac se concentre à Mito et Kagoshima.
Dans le secteur artisanal, les activités textiles sont en développement. La teinturerie est aussi en pleine expansion. Les régions de Kiryū et Hachiōji se spécialisent dans les plantations de mûriers et d'élevages de vers à soie. Mais ce sont les artisans de Nishijin, à Kyōto, qui deviennent les maîtres du travail de la soie.
Le poisson est aussi très apprécié par la population et s'exporte même jusqu'en Chine.
La hausse de la production artisanale et l'essor d'une production agricole conduisent à un accroissement des échanges en général, et du secteur des transports en particulier. L'unification politique, la résidence alternée imposée aux seigneurs, et l'essor de l'artisanat, jouent en effet dans le sens d'un essor rapide des transports terrestres. Et la naissance de centres urbains attire aussi marchandises et produits venus de tout le pays, en particulier dans les trois grandes ville : Edo, Kyōto et Osaka. Des relais avec vivre et couvert situés tous les deux ou trois lieues sur les cinq grandes routes du Gokaidō permettent aux voyageurs de faire des haltes, tandis que des villas attenantes accueillent les grands seigneurs.
Edo compte déjà plus d'un million d'habitants au début du 18ème siècle. Face à l'immense capitale shōgunale au centre du Kantō, Kyōto (presque 600 000 habitants) et Osaka (500 000), distantes l'une de l'autre d'une journée de voyage environ, constituent un pôle urbain considérable, qui fait du Kensai le second centre de l'archipel.
Si Edo est la capitale shogunale - et Kyōto la capitale impériale - Osaka est une grande cité marchande. La « cuisine de l'empire » prospère comme centre de concentration et de redistribution des produits venus de tout l'ouest du Japon. Osaka devient aussi le centre de ce marché national en formation avec toutes les activités touchant au négoce : la banque, la bourse, les hangars et dépôts, l'activité de gros et l'armement des navires.